Entretien avec Sophie Makhno

"JE CHANTE !" - Sophie Makhno, tous les lecteurs de "Je Chante !" ne connaissent pas votre trajectoire originale et diversifiée, et je vous remercie d'avoir accepté de la retracer. Quand avez-vous commencé vraiment dans la chanson, et pourquoi dans la chanson ?
SOPHIE MAKHNO -
Je ne sais pas si on sait quand on commence vraiment… J'ai commencé par faire du cabaret en chantant des chansons de Pierre Perret… J'ai toujours su où je ne voulais pas aller : je ne voulais pas faire une carrière universitaire…

Vous aviez fait des études pourtant…
J'ai préparé Normale Sup à Fénelon (avec Anne Sylvestre !), et puis après je suis allé en Sorbonne, où je préparais un certificat de géographie générale et un d'histoire ancienne, et puis je ne voulais pas faire la carrière vers laquelle ça devait m'emmener, alors quand on sait ce qu'on ne veut pas, ça ne veut pas dire qu'on sache ce qu'on veut, mais on sait vers où on préférerait aller…

Vous préfériez aller vers la chanson ?
La chanson fait partie de ma vie, tout le temps… Et puis le cabaret, c'était à ce moment-là l'endroit où allaient s'exprimer des gens qui ont finalement fait des carrières de « chanson », mais aussi de comédiens, d'auteurs, de compositeurs, des carrières artistiques qui avaient à voir avec tout ce qui est mystérieux dans la scène et dans le rapport avec le public…

Donc, ce qui vous intéressait plus, c'était le rapport avec le public ?
C'était le rapport avec un public, avec une façon d'aborder les gens, d'être très près …

Et qu'est-ce qu'il y avait de spécifique qui vous attirait dans cette forme d'expression-là, qui vous a fait choisir la chanson par rapport aux sketches, au théâtre ?
Le fait que j'aimais énormément de gens qui faisaient passer dans la chanson des choses qui ne passaient pas ailleurs, le fait qu'il y avait Brassens, qu'il y avait eu - et qu’il y avait encore - Trenet, Mireille et Jean Nohain… dans des registres différents, mais c'est toujours de la chanson, et ça me paraissait être quelque chose de complet. La chanson, c'est comme l'aquarelle, on n'a pas le droit à l'erreur. Il faut en trois minutes avoir fait quelque chose…

Et c'est ce challenge qui vous a intéressée ?
C'est une façon de faire, comme je préfère cent fois, mille fois, la nouvelle au roman ! Plusieurs années après avoir chanté les chansons de Pierre Perret, je me suis aperçue que j'étais mal à l'aise dans les textes des autres, et que j'avais besoin d'écrire et d'exprimer ça moi-même parce que personne ne pouvait le faire à ma place.

Cette première expérience où vous avez chanté des chansons de Pierre Perret, sous le nom de Françoise Marin, qu'est ce que ça vous a apporté déjà ?
J'ai pris conscience de ce qu'était ce métier de la chanson, des difficultés que ça représentait, du machisme avancé qui régnait dans ce métier et qui a continué à régner d'ailleurs !

Après cette période vous avez été secrétaire de Barbara. Comment êtes-vous entrée dans cette activité, et pourquoi avec Barbara ?
J'ai été amenée à présenter des spectacles au théâtre des Capucines, quand les chanteurs de chansons françaises se sont trouvés à la rue sous l'impulsion de la vague, dite yéyé. Il n'y avait plus d'endroits. Gilbert Sommier avait d'abord monté les mardis de la Huchette, et après les mardis des Capucines : il prenait des théâtres le jour de relâche et il montait des spectacles de chansons, et de diseurs aussi… J'ai eu l'occasion de présenter Darras et Noiret, Avron et Evrard, par exemple, et puis Serge Gainsbourg, Barbara, Anne Sylvestre, des gens qui n'avaient pas droit de cité dans les music-halls…

Et vous avez donc eu des contacts avec Barbara…
Elle a vu que je m'engageais sur la voie, que j'appelle du "secrétariat d'artiste". J'ai travaillé avec Romain Bouteille, avec Anne Sylvestre, avec Los Incas, avec Valérie Lagrange, avec Pierre Richard et Victor Lanoux qui avaient un numéro à deux… Et quand je l'ai rencontrée au théâtre des Capucines et que je l'ai présentée, Barbara m'a téléphoné, et elle m'a dit "Je sais que tu ne m'aimes pas" -- ça s'invente pas ! -- "mais je voudrais travailler avec toi, tu as une semaine pour réfléchir…". Ca s'est fait comme ça !

Et c'est aussi à ce moment-là que vous avez commencé à écrire vos premières chansons… Il y avait "Les mignons", "Toi l'homme" ?
Oui, mais déjà au Théâtre des Capucines, je disais des textes que j'écrivais, avec un accompagnement à la guitare de Ramon Herrera ; et Jacques Grello m'a dit "Mais mon petit, vous savez que vous écrivez des chansons ?" je lui ai dit "Non, parce que si c'étaient des chansons, je crois que je m'en rendrais compte !" et il m'a dit "Vous ne le savez pas, mais un jour la musique va venir au bout, vous écrivez des chansons, je suis formel !" Il avait raison ! Et la première chanson que j'ai écrite avec Barbara Sans bagages, c'était un texte comme ceux que je disais aux Capucines, et elle aussi m'a dit "tu écris des chansons", j'ai dit "non, je n'écris pas de chansons", elle m'a dit "fais voir" et elle a pris ce texte, elle l'a mis sur son piano, et voilà… et elle a fait Sans bagages

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